C
’est le 3
e
et dernier volet
du parcours muséal des
Milles. Et c’est en bonne
partie celui qui donne àlafois
sa spécificité, sa raison d’être
au mémorial et qui nous laisse,
nous visiteurs, devant cette
question entêtante et inévita-
ble:qu’aurais-je fait, moi, face
àl’engrenage de la Shoah ?
Que ferais-je demain si le pire,
sous une forme ou sous une
autre, redevenait d’actualité?
La partie conclusive du par-
cours s’intéresse donc aux mé-
canismes génocidaires. Pas
seulement ceux de la Shoah,
même si, de par l’histoire mê-
me deslieux, le massacre des
juifs d’Europe reste évidem-
ment central. Mais aussi de
tous les autres génocides per-
pétrés au XX
e
siècle et recon-
nus comme tels par l’ONU:le
massacre systématique des Ar-
méniens par la Turquie, en
1915-1917, les actes génocidai-
res dirigés contre les Tziganes
durant la Deuxième guerre
mondiale, le génocide des Tut-
sis dans le Rwanda de 1994. À
un endroit, les hommes, fem-
mes et enfants àabattre sont
des rats;àunautre des cancre-
lats.Balle de fusil, gaz ou ma-
chette. Le vocabulaire et les
moyens changent, le phénomè-
ne profond reste le même:nier
l’humanité d’un groupe pour
rendre acceptable son extermi-
nation systématique.
"Ce volet réflexif donne tout
son relief àlavisite, considère
Cyprien Fonvielle, le directeur
du site. C’est après avoir visité
cette partie-là que nos visiteurs
comprennent l’intérêt même
du mémorial."
Sociologue au CNRS, Alain
Chouraqui, le président de la
Fondation camp des Milles mé-
moire et éducation aintégré ce
volet réflexif dès l’origine du
projet. Quitte àparfois froisser
quelques tenants d’une stricte
orthodoxie de la mémoire.
Mais pour l’équipe des Milles,
l’expérience éminement morti-
fère de la Shoah doit, certes,
être traitée comme telle mais
aussi comme une leçon humai-
ne utile au présent. "Pour
nous, ce qui est important, c’est
apprendre du passé pour
aujourd’hui, explique Alain
Chouraqui. Bien entendu, le
premier plan mis en avant,
c’est l’histoire particulière de ce
lieu. Mais il est essentiel pour
nous que cette histoire parle de
l’homme en général. Et la
meilleure manière de le mon-
trer, c’est d’ouvrir notre ré -
flexion aux autres génocides
avérés."
Cette convergence des mé-
moirespermet d’aborder "les
mécanismes humains, indivi-
duels, collectifs et institution-
nels qui ont pu, dans tous ces
cas, conduire au pire", poursuit
Alain Chouraqui. Des mécanis-
mes qui, àchaque fois, pour
peu qu’on aille au-delà des ap-
parences, sont toujours les mê-
mes: "Les stéréotypes, les préju-
gés, les racismes, l’effet de grou-
pe, de bande, la passivité de
beaucoup, la soumissionaveu-
gle àdes autorités
illégitimes…",poursuit-il.
Cette leçon terrible, cette im-
pression d’une histoire qui, tra-
giquement, bégaye pourrait
amener àbaisser les bras. "No-
tre postureest différente, expli-
que Alain Chouraqui. Elle est
de dire que le potentiel tragique
et méchant dans l’homme est,
de toute évidence, important.
Mais il yaun autre potentiel, le
potentiel du meilleur dans
l’homme avec les actes justes.
Et ce potentiel-là, on peut faire
en sorte qu’il s’exprime tôt.
C’est tout l’objectif du camp des
Milles."
C’est l’un des symboles du Mémorial
des Milles. Sur la photo d’un grand mee-
ting du Parti nazi, une foule bras levés sa-
lue le chancelier Hitler. Isolé au milieu
de cette multitude, un homme, le regard
droit devant, garde les bras croisés. Cette
photographie des années 30 accueille le
visiteur àl’entrée de la salle qui abrite le
Mur des actes justes.
Justes, comme le titre de Juste parmi
les nations,décerné àdes non-juifs par le
Mémorial Yad Vashem de Jérusalem à
ceux qui ont aidé des juifs en péril du-
rant la Deuxième guerre mondiale. Sur
un vaste pan de salle, de petits textes rap-
pellent ces actes du courage quotidien:
l’histoire du curé de Meyrargues ou d’un
policier lorrain qui ont caché des juifs
pour les protéger des rafles, de la fermeté
du prêtre hutu Jean-Marie Vianney Gisa-
gara qui, en 1994, protège les Tutsis de sa
paroisse des milices interahamwe et le
payera de sa vie… Le Mur des actes jus-
tes, qui conclutlevolet réflexif de la visi-
te, "montre la variété des actes de résistan-
ce et de sauvetage possibles et la grande
diversité des hommes et des femmes qui
nous ressemblent et qui ont su réagir effi -
cacement, chacun àsamanière", expli-
que le Mémorial du camp des Milles.
Le Mur des actes justes:des raisons d’espérer
Le Wagon du souvenir :
avant que le Mémorial ne
voie le jour, des associations
de résistants et de déportés
ont fait installer un wagon à
bestiaux, du même modèle
que ceux qui ont servi, en
août1942, àladéportation
des juifs depuis les Milles,
sur un délaissé de voie, à
une centaine de mètres de
la tuilerie. Il s’y visite tou-
jours.
La Salle des peintures :
C’est là que tout àvraiment
commencé pour le Mémo-
rial, dans l’ancien réfectoire
des gardiens décoré par des
artistes internés. Cette Salle
des peintures est ôcombien
ironique:des peintres mal
nourris et en proie àlafolie
du temps ydessinent des
fresques àlagloire de la soli-
darité entre les peuples et
des agapes gargantuesques.
En 1983,laSalle des peintu-
res était promise àladémoli-
tion. Classée depuis, elle afi-
nalement été la première
pierre de l’édifice mémoriel
des Milles.
Des gestes,grands ou petits, qui ont protég édes viesaucoursdes différents génocides:leMur des actes justes conclutlavisitedu
Mémorial du campdes Milles en rappelant que dire non àlaviolence est possible.
"Stéréotypes, racisme,
effet de bande
et passivité."
"Mémoireducampdes
Milles,1939-1942". Initié
par le photrographe Yves
Jeanmougin (quienassure
le portfoliocentral),encol-
laborationavec le campdes
Milles,l’ouvrage collectif
Mémoire du camp des Mil-
les
retrace àlafois
l’histoire du camp
d’internement et la genèse
du mémorial ouvert en sep-
tembre 2012.
➔
Aux éditions Métamorphoses-
Le Bec en l’air, 29¤,340 pages.
"Les Milles, le train de la
liberté". Avec Philippe Noi-
ret, Jean-Pierre Marielle et
François Berléand dans les
rôles principaux, le film de
Sébastien Grall (1995) retra-
ce l’odyssée du convoi
d’internés que le comman-
dant militaire du camp ten-
ta, sans succès, d’exfiltrer
vers l’Espagne.
➔
Disponible en DVD.
La mécanique qui mène aupire
n’est pas forcémentimplacable
S’appuyant sur un lieu témoin, le Mémorial du camp des Milles se veut aussi
un outil de réflexion àladisposition du grand public comme des scolaires
Les deux
premières pierres
de l’édifice
Le volet réflex if du mémorial permetdemieuxcompre ndreles mécanismes personnelsetsociologiques àl’œuvre danstous les génocides du XX
e
siècle.
Pour aller
plus loin
200000
Le nombre de visiteurs
du Site-mémorial
du camp desMilles
depuis sonouverture
au public,
en septembre2012
Fondation du camp des Milles
6
Dimanche 12 Octobre2014
www.laprovence.com
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